Lettre de L. Verigin à John Oliver concernant la scission de la communauté
The Lordly Christian Community of Universal Brotherhood
Brilliant, C.-B., 25 mars 1926L’Honorable John Oliver,
Premier ministre de la Colombie-Britannique
Victoria, C.-B.
Monsieur :-
Après la mort de notre digne chef, M. Peter Verigin, la communauté doukhobor s’est divisée en deux pour des raisons d’ordre religieux. Le plus grand groupe ne pensait pas avoir la force nécessaire pour gérer les affaires de la communauté et a donc choisi deux délégués pour aller en Russie chercher un chef qui vit à Don, mais qui, malheureusement, ne respecte pas la doctrine des Doukhobors, la principale raison étant qu’un vrai Doukhobor ne mange pas de viande, ne fume ni ne chique du tabac, ni ne prend de boissons intoxicantes, mais le chef qu'ils ont choisi est un homme du monde qui ne possède aucun christianisme. Le plus petit groupe avait déclaré que tous les membres de la communauté connaissaient les principes de vie et que nous pouvions continuer sur les mêmes bases que celles établies par notre fondateur, feu M. Verigin, et qu’il était possible d’avoir une femme comme chef spirituel, cette femme ayant reçu pendant vingt-cinq ans la formation requise pour ce travail, mais comme tous ne pouvaient s’entendre sur cette différence d’opinion, une réelle division s'est formée, spirituelle tout autant que matérielle.
Au début de 1925, une assemblée de toute la communauté a eu lieu à Brilliant et, à ce moment-là, le plus petit groupe a demandé un endroit séparé, un des trois emplacements suivants : Grand Forks, Brilliant ou Shoreacres. Selon nos membres, allouer la colonie de Shoreacres au plus petit groupe serait préférable parce que cela permettrait au plus grand groupe de garder les terres de grain et les meilleurs vergers. Le plus petit groupe a convenu de prendre sa part du capital et d'assumer ce qui reste de la dette sur cette propriété. Les administrateurs de la communauté ainsi que les membres qui étaient présents à cette assemblée avaient accepté de nous donner une colonie séparée avec tous les outils nécessaires, des chevaux, des maisons, etc., mais ils ont refusé de conclure une entente finale affirmant qu’ils attendaient l’arrivée de leur chef de Russie dans peu de temps et que, dès qu’il arriverait, tout serait arrangé et, en attendant, tout le monde devait rester dans les mêmes endroits et les mêmes maisons, demande à laquelle nous avons accédé.
Cela fait plus d’un an, le chef n’est toujours pas arrivé et les délégués qui étaient allés le chercher sont revenus bredouilles. En fait, ils ne savent pas quand il viendra et, pour cette raison, nous avons encore demandé un endroit séparé où tous les membres du petit groupe pourraient vivre paisiblement sans oppression indue parce que nous savons que les deux parties ne pourront pas se réunir à nouveau. À la dernière assemblée tenue à Ooteshenia?? (de l’autre côté de la rivière), le 5 mars 1926, nous avons de nouveau demandé une colonie séparée avec les outils agricoles au nom de Jésus-Christ, parce que la totalité des propriétés a été acquise grâce au dur labeur de l'ensemble du peuple, dont en l'occurrence, nous faisons partie, ou que s’ils n’étaient pas d’accord avec cette proposition, alors dans une telle éventualité, pour garder la paix, nous serions prêts à quitter [illisible] la colonie, à la condition cependant qu’ils ne nous dérangent pas pendant quelques années jusqu’au moment où nous serons en position d’acquérir les terres nécessaires dans les Prairies et même où nous aurons bâti des maisons pour nos familles, mais ils ont absolument refusé de nous donner quelque assurance à ce sujet et, en fait, ils ont dit que « si vous n’êtes pas d’accord avec nous, nous allons vous faire quitter de force et vous pourrez aller où vous voulez. »
Pendant la saison 1925, le plus grand groupe nous a enlevé tous nos droits et privilèges, ils ne nous ont pas permis d’utiliser les attelages de chevaux pour qu’on puisse faire nos travaux. Les provisions de farine de nos propres moulins, ainsi que d’autres provisions, ont été coupées sans se préoccuper du fait que nous avions payé en argent les provisions pour une demi-année. Nos membres ont aidé à la récolte du grain, des fruits, mais on ne nous a rien donné.
Il faut admettre que feu M. Verigin avait fait plus d’efforts pour la cause des Doukhobors que quiconque et il a été exilé dans le froid de la Sibérie pour seize ans avec ses six frères de sang et plusieurs autres et ils ont tous subi de grandes souffrances pendant leur conflit avec le gouvernement russe pour défendre leur liberté morale et pas seulement pour eux-mêmes mais pour les générations futures. Plusieurs ont été obligés de quitter leurs femmes et leurs enfants et leurs propriétés et ont même sacrifié leur vie pour la cause et maintenant la jeune génération, comme Joseph Shukin, qui a été éduqué grâce au dur labeur des travailleurs et qui passe le plus clair de sont temps dans le bureau et qui a des mains qu’on pourrait qualifier d’« aristocrates », nous offre maintenant de laisser nos maisons sans rien prendre et il explique à la population que c’est à cause des règlements de la société, lui qui ne connaît rien de la société du Christ au nom de qui nous avons été assemblés, agis avec les autres comme tu agirais avec toi-même. Ceci ne pourrait être compris que par quelqu’un qui connaît ce qu’est un travail honnête, mais Shukin est un blanc-bec qui ne le sait pas et donc il parle comme cela. À d’autres moments, il dit que le shérif pourrait arriver n’importe quand et que tous ceux qui sont en désaccord avec le grand groupe pourraient être jetés à la porte de leurs maisons sans préavis.
Tout récemment, lors d’une assemblée à Kylemore, Sask., M. Cazakoff a prononcé dans l'impiété que si le petit groupe ne se joignait pas à eux, alors il verrait à ce que non seulement leurs biens personnels soient vendus mais qu’ils vendraient aussi les femmes. George Hadikin, trésorier du bureau principal à Brilliant, a aussi prononcé une menace publique lors de la dernière assemblée à Brilliant, à l’effet que le temps était maintenant venu et que la majorité de la population détenait le pouvoir et que si vous (en parlant du petit groupe) ne quittez pas les maisons d’ici trois mois, vous verrez ce que les travailleurs feront. Il faut dire que le comportement général de la population est très sérieux et pas très bon.
En conclusion nous voulons dire que le grand groupe a pris le contrôle des biens de la communauté et que notre groupe est laissé sans défense et sans rien. Nous n’avons pas d’argent pour demander à des avocats d’agir en notre nom et cela veut dire que si le gouvernement canadien ne voit pas à ce que justice soit faite, il y aura alors des centaines de familles qui seront laissées à la merci de la providence.
Nous vous demandons respectueusement, cher monsieur, de nommer une commission d’enquête pour faire la lumière sur cette sérieuse affaire et mettre un terme aux actions impies que la justice britannique réprouve et arrêter la destruction avant qu’elle ne commence et nous avons confiance que vous ferez ce qui est nécessaire dès que vous recevrez cette communication.
Cette requête a été écrite en présence de trois cents personnes, pour lesquelles le membre suivant a signé avec leur autorisation.
L. Verigin