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R�flexion sur les crimes et les sentences.

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CHAPITRE IV

Que la libert� est favoris�e par la nature des peines & leur proportion.

C'est le triomphe de la libert�, lorsque les loix criminelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime. Tout l'arbitraire cesse ; la peine ne descend point du caprice du L�gislateur, mais de la chose ; & ce n'est point l'homme qui fait violence � l'homme.

Il y a quatre sortes de crime. Ceux de la premi�re espece choquent la religion ; ceux de la seconde les moeurs ; ceux de la troisieme la tranquillit� ; ceux de la quatrieme la suret� des citoyens. Les peines que l'on inflige doivent d�river de la nature de chacune de ces especes.

Je ne mets dans la classe des crimes qui int�ressent la religion, que ceux qui l'attaquent directement, comme sont tous les

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sacril�ges simples. [...]

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La seconde classe est des crimes qui sont contre les moeurs. Telles sont la violation de la continence publique ou particuli�re, c'est-�-dire, de la police sur la mani�re dont on doit jouir des plaisirs attach�s � l'usage des sens & � l'union des corps. Les peines de ces crimes doivent encore �tre tir�es de la nature de la chose. La privation des avantages que la soci�t� a attach�s � la puret� des moeurs, les amendes, la honte, la contrainte de se cacher, l’infamie publique, l’expulsion hors de la Ville & de la soci�t� ;

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enfin toutes les peines qui sont de la juridiction correctionnelle, suffisent pour r�primer la t�m�rit� des deux sexes [...]

Les crimes de la troisi�me classe, sont ceux qui choquent la tranquillit� des citoyens; & les peines en doivent �tre tir�es de la nature de la chose, & se rapporter � cette tranquillit� ; comme la privation [prison], l'exil, les corrections, & autres peines qui ram�nent les esprits inquiets & les font rentrer dans l'ordre �tabli.[...]

Les peines de ces derniers crimes, sont ce qu'on appelle des supplices. C'est une esp�ce de talion, qui fait que la soci�t� refuse la suret� � un citoyen qui en a priv� ou qui a voulu en priver un autre. Cette peine est tir�e de la nature de la chose, puis�e dans la raison & dans les sources du bien & du mal. Un

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citoyen m�rite la mort, lorsqu'il a viol� la suret� au point qu'il a �t� la vie, ou qu'il a entrepris de l’�ter. Cette peine de mort est comme le rem�de de la soci�t� malade. Lorsqu’on viole la suret� � l’�gard des biens, il peut y avoir des raisons pour que la peine soit capitale : mais il vaudroit peut-�tre mieux, & il serait plus de la nature, que la peine des crimes contre la suret� des biens, f�t punie par la perte des biens; & cela devroit �tre ainsi, si les fortunes �toient communes ou �gales. Mais comme ce sont ceux qui n'ont point de biens qui attaquent plus volontiers celui des autres, il a fallu que la peine corporelle suppl��t � la p�cuniaire.

Tout ce que je dis est puis� dans la nature, & est tr�s-favorable � la libert� du citoyen.

Source: Secondat Baron de La Br�de et de Montesqieu, Charles-Louis de, "R�flexion sur les crimes et les sentences, dans De l'esprit des loix" (Amsterdam et Leipsick: Nouvelle �dition, revue, corrig�e et consid�rablement augment�e par l’auteur [...], Chez Arkst�e et Merkus, 1764), T. 2, L. 12, p. 7-11.

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