Aurore: La vraie histoireChapitre 22, p. 339 à 341. (La famille Gagnon se rend à l’église pour la confession, Marie-Anne est la première a aller se confesser.) -Des fois, monsieur le curé, je me demande si elle sait ce que c'est, voler. Suis assez découragée de cette enfant-là. Elle vole. Elle est menteuse. Paresseuse. Elle sait jamais son catéchisme. On dirait qu'elle a le diable au corps. Vous vous rappelez, quand vous êtes allé à son école, elle savait rien pis ensuite, elle a pas voulu se faire bénir. Vous trouvez pas que c'est terrible? La première fois que je l'ai vue, monsieur le curé, je l'ai vue voler quelque chose. Un petit Jésus que son père avait gosse pour les enfants. C'était dans le temps du curé Blanchet. Il était là, il a tout vu, il pourrait vous le dire. Aurore a perdu le sien pis ensuite, elle a volé celui-là à Marie-Jeanne... C'est que vous me conseillez dans un cas de même? -Il faut sévir sans hésiter, madame. Sévir est un devoir rigoureux. Et si vous deviez tergiverser avec vos principes, alors pensez à ceci: livre des Proverbes, chapitre 22, verset 15... «La folie est attachée au coeur de l'enfant -Pis faut que je vous dise, monsieur le curé, mon mari Télesphore, c'est rare qu'il les corrige. Ça fait que je suis tuseule pour en élever six avec un septième pas loin... -Je veux dans cette paroisse des familles saines avec des enfants forts et fervents. Si vous me le demandez, j'en glisserai un mot à votre mari, de ses obligations de père qui doit bien châtier... -Certain que ça m'aiderait, monsieur le curé, certain. C'est avec une lueur malicieuse à l'endroit d'Aurore que Marie-Anne quitta le confessionnal où la fillette la remplaça. La femme avait l'âme blanche, patte blanche et carte blanche. Quand ce fut son tour, l'enfant n'accusa rien. Elle déclara ne pas avoir de péchés à dire. Le curé ne la crut pas. Mais il lui donna un certain bénéfice du doute, se disant qu'à neuf ans, même si cela était anormal, elle avait peut-être de la difficulté à différencier le bien du mal. Le mieux était donc de la questionner pour lui faire penser à ses fautes oubliées ou non reconnues. -Est-ce qu'on t'a punie dernièrement à la maison? -Oui. -Quand ça? -Ben... surtout l'autre fois... j'ai eu des coups de fouet. -Ah! et pourquoi? -Ben... je le sais pas... Parce que j'ai pas su mon catéchisme... -Et... tu t'es accusée de paresse? -Oui, monsieur le curé... la dernière fois que je suis venue à confesse... -À la confession générale. -Oui, monsieur le curé. -Ah bon! Qu'il la trouvait astucieuse, cette petite! Profiter ainsi d'une confession publique pour vider tout son sac de fautes! Sans aucun doute, elle ne savait pas différencier le bien du mal. Peut-être n'acceptait-elle pas que le mal puisse provenir d'elle; sa mère avait bien raison, la correction la rendrait responsable. Il lui fit dire qu'elle avait menti, volé du manger à la maison et continué de paresser puisque ses notes de catéchisme n'étaient pas meilleures qu'auparavant. Et c'est avec bonheur qu'il lui donna l'absolution en lui recommandant de ne plus recommencer et de ne jamais céder à la tentation du diable... Car il eut la conviction qu'il avait fait faire un petit pas dans le droit chemin à cette jeune âme en danger... Télesphore se confessa ensuite. L'abbé Massé lui glissa un mot sur sa conduite avec les enfants, lui suggéra plus de sévérité. L'homme se défendit qu'il n'était pas toujours à la maison, que sa femme devait sévir la première. Puis le curé lui parla spécifiquement d'Aurore et de catéchisme. Le pénitent se sentit très coupable et il avoua que la fillette avait été conçue dans la boisson et le plaisir. Le curé en fut troublé. Très troublé. Et au rappel de cette confession, ce soir-là, il réfléchit profondément une fois de plus aux manières du Malin d'établir son emprise sur le monde. Il consulta sa bible. S'endormit en se disant que non, Aurore Gagnon n'était pas une petite possédée bien entendu, mais qu'elle n'était peut-être pas bénie du ciel... de la même façon que les autres... Source: André Mathieu, Aurore: la vraie histoire, chapitre 22 (Saint-Eustache: Éditions du Cygne, 1990), 339-341.
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