De la maladie
Mais de tout ce drame quotidien du corps, il ne subsiste aucune trace. Les gens �crivent inlassablement au sujet des agissements de l’esprit; des id�es qui le traversent; de ses nobles ambitions, de la mani�re dont l’esprit a conquis l’univers. Ils le mettent en sc�ne ignorant le corps, dans la tourelle du philosophe; ou malmenant celui-ci, comme un vieux ballon de football en cuir, � travers des arpents de neige ou de d�sert, � la poursuite de quelque conqu�te ou d�couverte. Ces grandes guerres que le corps d�clare, avec l’esprit son vassal, dans la solitude de la chambre � coucher, contre une attaque de fi�vre ou un acc�s de m�lancolie, sont ignor�es.[…]
Enfin, il y a �galement la pauvret� de la langue qui nuit � la description de la maladie dans la litt�rature. L’anglais, qui sait rendre les r�flexions de Hamlet et la trag�die de Lear, ne renferme pas les mots qui sauraient d�crire le frisson et le mal de t�te. Il s’est d�velopp� dans une seule direction. La moindre �coli�re, le jour o� l’amour la fait chavirer, peut compter sur Shakespeare ou sur Keats pour l’aider � s’exprimer, mais d�s qu’un malade tente de d�crire au m�decin la douleur qu’il a � la t�te, la langue s’�vanouit d’un coup. Aucune formule toute faite ne se pr�sente � lui. Il n’a d’autre choix que celui de s’inventer des mots lui-m�me et, prenant sa douleur dans une main, et une motte de son pur dans l’autre (� l’instar, qui sait, des peuples de Babel au commencement), de les presser ensemble jusqu’� ce qu’un nouveau mot, flambant neuf, n’�merge.