Blodwen Davies, demande d’exhumation de la d�pouille d’un d�nomm� Thos. Thomson noy� dans le lac Canot en 1917, 27 juillet 1931

Toronto

27 juillet 1931

[ Canoe Lake, seen from Mowat cemetery ]

Le lac Canoe vu du cimeti�re de Mowat , Inconnu, Algonquin Park Archives, APMA 6932, On aper�oit Mowat Lodge � l'extr�me droite

Cher Col. Price,

J’inclus � la pr�sente la d�claration au sujet de la mort et de l’enterrement de Tom Thomson, dont vous avez eu la gentillesse de discuter avec moi la semaine derni�re. Elle est un peu longue, mais j’ai tent� d’inclure le plus d’�l�ments que j’ai pu apprendre au sujet de cet �v�nement.

[...]

En effet, j’appr�cierais vraiment si vous pouviez faire quelque chose au sujet de cette affaire. J’avais le sentiment d’avoir trop de mat�riel entre les mains pour ignorer les conclusions �videntes. Toutefois, ce qui importe aux yeux des amis de Thomson est de savoir si oui ou non il repose toujours au lac Canoe et d’�carter les accusations de suicide qui souillent son nom.

Si je peux faire autre chose pour vous aider d’une quelconque fa�on, je serai heureuse de le faire. Je m’attends � �tre au lac Canoe au d�but de septembre.

Veuillez agr�er mes sentiments distingu�s,
Blodwen Davies
& Dr Banting

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AU SUJET DE LA MORT DE TOM THOMSON
8 juillet 1917

Tom Thomson, un artiste canadien, qui passait chaque ann�e la plus grande partie de son temps au parc Algonquin, est mort noy� dans le lac Canoe le 8 juillet 1917.

C’�tait un homme r�serv�, modeste et extr�mement appr�ci� de tous ceux qui le connaissaient. Il avait �lu domicile � Mowatt Lodge, au lac Canoe, un endroit tenu par M. et Mme Shannon Fraser, qui dirigent maintenant l’h�tel de Kearney. Thomson avait l’habitude de planter sa tente � Heyhurst Point, en face de Mowatt Lodge, lorsque le temps �tait cl�ment.

Il avait peint une �tude de l’�volution du temps qu’il faisait, � raison d’un croquis par jour de la mi-avril � la mi-juin, et avait comme d’habitude cess� de faire des croquis durant les mois du milieu de l’�t�. C’�tait un excellent p�cheur. Un pagayeur, un nageur et un chasseur expert.

Au cours des quelque dix jours qui ont pr�c�d� sa mort, il rivalisait avec Mark Robinson, le garde du parc en charge du district du lac Canoe , pour d�terminer qui p�cherait la grosse truite au bout du portage du lac Joe. Elle leur a �chapp� � tous les deux. Le matin de sa mort, Thomson s’est lev� plut�t tard et a pris le d�jeuner avec Mme Fraser � Mowatt Lodge. Il �tait de bonne humeur et est arriv� � fra�chement ras�, les cheveux peign�s et brillants �. Il est rest� longtemps � table,

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en mangeant et en parlant tranquillement. Il s’est ensuite allum� une cigarette et est sorti faire un tour � l’ext�rieur. Il est all� rejoindre Shannon Fraser et ensemble ils se sont rendus au portage du lac Joe pour tenter une fois de plus d’attraper la truite. Ils ont �chou� encore une fois. Il �tait alors presque midi.

� Je sais ce que je vais faire, a dit Thomson, je vais me rendre au lac Gill et attraper une grosse truite et la laisser sur le pas de la porte chez Mark pour qu’il la voie en sortant de chez lui t�t demain matin. Il va penser que j’ai attrap� notre amie ici �.

Ils sont retourn�s � Mowatt Lodge. Thomson a sorti son canot. Il n’avait pas de pain. Fraser est rentr� dans la maison pour lui ramener une miche de pain et Thomson l’a rang�e, avec du sirop de ma�s en conserve, sous la proue du canot. Il n’a pas pris plus de provisions puisqu’il avait l’intention de revenir d�s qu’il aurait attrap� le poisson. Certains racontent qu’il �tait en chemin pour un voyage de camping. Le pain et le sirop ont �t� retrouv�s dans le canot le jour suivant.

Thomson a quitt� le quai de Mowat Lodge � environ 1 heure moins 25 minutes le dimanche. Il a pagay� sur le lac en contournant la petite �le Wapomeo. Il y avait un cottage inhabit� sur l’�le. Il a ensuite �t� hors de vue quand il s’est engag� sur l’�tendue d’eau qui s�pare la petite �le Wapomeo et la grosse �le Wapomeo. C’est l� que son canot a �t� retrouv� et c’est aussi l� que, neuf jours plus tard, son corps a �t� retrouv�. Sa montre s’�tait arr�t�e peu apr�s 1 heure. Il fallait pagayer � peine dix minutes � partir du quai de Mowatt Lodge pour atteindre l’endroit o� son corps a �t� retrouv�.

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Le lundi matin, Martin Blecher, le fils de Martin Blecher p�re (des germano-am�ricains qui passent l’�t� au lac Canoe depuis plusieurs ann�es), a rapport� avoir vu un canot flotter entre les �les le dimanche apr�s-midi vers 3 heures. Il ne l’avait pas signal�, a-t-il dit, car il croyait que le canot appartenait � Colson, de l’h�tel Algonquin, au lac Joe, et qu’il avait d�riv� � partir du portage du lac Joe o� Colson gardait quelques-uns de ses canots. C’�tait toutefois le canot de Thomson, et tous au lac Canoe connaissaient bien ce canot. Il �tait peint d’une teinte particuli�re de vert. Les amis de Thomson ont imm�diatement identifi� ce canot comme �tant le sien. Une battue a �t� organis�e, mais aucun des amis de Thomson ne croyait que ce dernier ait pu s’�tre noy�. C’�tait un nageur puissant depuis son enfance. Il avait fait le trajet sous un petit vent d’est et une pluie fine. Mark Robinson a arpent� la for�t durant sept jours, sifflant et appelant Thomson, croyant que ce dernier avait accost� et qu’il s’�tait bless� en tombant. De toutes les connaissances de Thomson, seule la famille Blecher a fait des recherches sur le lac entre Mowatt Lodge et le barrage du lac Tea, m�me si le canot avait �t� retrouv� entre les �les pr�s de la maison.

Le Dr Golden Howland, de Toronto, est arriv� un jour ou deux apr�s la mort de Thomson pour r�sider dans le cottage Taylor Statten sur la petite �le Wapomeo. Lundi matin, le 16 juillet, il a d�couvert le corps de Thomson qui s’�tait emm�l� dans ses lignes � p�che. Il en a inform� les autorit�s. Le corps a �t� ramen� sur la grosse �le Wapomeo et arrim� � cet endroit.

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Le Dr Ranney, coroner de North Bay, a �t� avis�. Le train en partance de North Bay � 2:10 de l’apr�s-midi est arriv� au lac Canoe � 9:12 ce soir-l�. Le Dr Ranney n’a pas quitt� North Bay le lundi.

Mardi matin, Mark Robinson a d�cid� de retirer le corps de Thomson de l’eau. Le Dr l’a examin�. Ce qui suit est sa d�position telle que fournie par T. E. McKee, procureur de la Couronne, North Bat [Bay], le 5 juin 1931

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Copie d’une lettre du Dr A. E. Ranney, coroner, North Bay, dat�e du 7 mai 1931

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Un entrepreneur de pompes fun�bres de Kearney �tait arriv�. Le corps a �t� embaum� et ramen� dans les terres le mardi matin o� il a �t� enterr� � un endroit sablonneux sur le bord d’une petite colline.

Le Dr Ranney est arriv� mardi par le train de 9:12 du soir. Il a dit qu’il avait t�l�graphi� son intention d’arriver mardi. Les personnes en charge de l’affaire au lac Canoe n’ont trouv� aucune trace de ce message dans les dossiers. Les dossiers du t�l�graphe pour cette ann�e-l� ont �t� d�truits depuis.

L’enqu�te s’est tenue � la maison des Blecher plut�t qu’� l’h�tel situ� tout pr�s. Les Blecher, qui n’�taient pas populaires aupr�s de la communaut�, ont servi de la bi�re et des cigares aux personnes pr�sentes. Mark Robinson a d�couvert que George Rowe, qui avait ramen� le corps sur le rivage, n’avait pas �t� assign� � compara�tre lors de l’enqu�te. Il a pagay� jusqu’� sa cabane de l’autre c�t� du lac pour aller le chercher.

Au proc�s, rien n’a �t� dit au sujet des disputes entre Martin Blecher, qui avait alors environ vingt-cinq ans, et Thomson. On raconte que les disputes �taient violentes. Thomson a �crit � Lismer, un de ses amis intimes qui �tait alors � Halifax, au sujet de ces disputes. Ces lettres n’ont pas �t� conserv�es. Thomson �tait contrari� par la guerre. Ses amis, en particulier le Dr James MacCallum, qui le finan�ait par la vente de ses tableaux, mettait beaucoup de pression sur lui pour ne pas qu’il s’enr�le. D’autres amis mettaient de la pression sur lui, certains pour l’inciter � s’enr�ler, d’autres pour l’emp�cher de le faire. Thomson �tait en train de devenir un artiste c�l�bre et tenait en quelque sorte le r�le de figure l�gendaire dans les cercles artistiques.

Plus tard, Martin Blecher est devenu un conscrit r�fractaire.

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Une xlettre du minist�re de la Guerre de Washington, dat�e du 27 juillet 1931, le d�crit en ces termes […]

On raconte au lac Canoe qu’un agent du minist�re de la Guerre s’est rendu au lac Canoe � sa recherche et qu’on l’a persuad� de partir sur-le-champ sans s’ex�cuter.

Martin Blecher aurait r�pandu la rumeur qu’il se serait suicid�. Il a d�clar� cela jusqu’en ao�t 1931 quand il a travers� le lac pour se rendre au camp Ahmek le jour de la comm�moration de Thomson, o� il a alors d�clar� au Dr Harry Ebbs que Thomson avait les jambes attach�es ensemble avec un bout de caoutchouc. Cette d�claration �tait fausse. Il a �galement d�clar� que le corps �tait raide, rigide. Ce qui �tait �galement faux.

Lorsqu’elle a �t� interrog�e � l’�t� 1930, la m�re de Blecher a refus� de parler de Thomson.

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Le principal fait que l’enqu�te n’a pas r�ussi � �tablir et qui aurait d� �tre �vident est le suivant : moins de dix minutes apr�s qu’il ait quitt� le quai de Mowatt Lodge, alors qu’on ne pouvait le voir � partir des cottages, Thomson a �t� frapp� � la t�te avec une arme qui lui a laiss� une ecchymose de quatre pouces de long � la tempe et qui a caus� le saignement de l’oreille. L’ecchymose n’a pu �tre inflig�e qu’alors que Thomson �tait en vie.

Les eaux du lac Canoe sont assez temp�r�es pour que les enfants d’un camp d’�t� puissent s’y baigner tout le mois de juillet et d’ao�t. Toutefois, le corps de Thomson, qui aurait d� flotter au bout de deux ou trois jours, n’a refait surface que neuf jours plus tard, m�me s’il avait enfl� jusqu’� �tre le double de sa taille normale – � moins qu’il n’ait refait surface et qu’il n’ait coul� une deuxi�me fois. Il y avait une ligne � p�che attach�e � l’une de ses chevilles.

On a pos� � Mark Robinson, le garde du parc, les questions suivantes : [...]

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Comme il a �t� mentionn�, Thomson a �t� enterr� au bord d’une colline sablonneuse non loin de Mowatt Lodge. Quelques jours plus tard, sa famille a envoy� un entrepreneur en pompes fun�bres, Churchill de Huntsville, ainsi qu’un cercueil en m�tal afin que le corps soit exhum� et transport� jusqu’� Owen Sound. L’entrepreneur est arriv� avec le train de 9:12 du soir qui avait peut-�tre du retard, puisque les personnes concern�es se rappellent qu’il �tait � pr�s de minuit � lorsqu’il est arriv�. Mark Robinson n’a �t� inform� de son arriv�e que quelque temps plus tard. Robinson s’est lev� � l’aube, s’est rendu � la tombe et a d�couvert que l’homme avait d�j� termin� le travail. Il a dit que Thomson �tait d�j� dans le cercueil de m�tal scell�. Robinson ne croit pas que le corps ait �t� d�plac�. Les fleurs qui avaient �t� d�pos�es sur la tombe lors des fun�railles n’avaient pas �t� d�plac�es.

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George Rowe �tait avec l’entrepreneur en pompes fun�bres alors que ce dernier se rendait � Mowatt Lodge. Rowe se souvient que l’homme �tait impatient de se retrouver seul et qu’il a refus� qu’on l’aide. Shannon Fraser, qui a conduit l’homme et le cercueil jusqu’� l’endroit en question, a pris arrangement pour revenir chercher l’homme lorsque ce dernier lui ferait un signal une fois l’exhumation termin�e. Il se souvient avoir � peine eu le temps de revenir � l’h�tel avant de voir le signal et il est retourn� imm�diatement chercher le cercueil.

Aucune des personnes concern�es par cet �v�nement ne croit que Thomson a �t� d�plac�. Les personnes qui ont �t� interrog�es ont toutes la m�me opinion. Le cercueil de Thomson a �t� enterr� � Leith, o� une pierre a �t� �rig�e au-dessus de la tombe.

L’endroit o� le corps a �t� enterr� au lac Canoe n’est pas un cimeti�re officiel. Quatre ou cinq personnes y ont �t� enterr�es; il n’y a qu’une petite cl�ture autour de quelques tombes. La tombe de Thomson �tait � l’ext�rieur de la cl�ture.

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Tous ceux que cet incident concerne vivent encore. Mark Robinson est l’assistant du directeur adjoint du parc. Sa famille (celle de Thomson) connaissait les circonstances et a parl� de prendre des mesures pour clarifier l’affaire. La vieille m�re de Thomson aurait �t� perturb�e par de telles mesures et l’affaire a alors �t� abandonn�e.

Les Blecher, une famille de querelleurs, habitent encore le m�me cottage au lac Canoe.

La r�ouverture de la tombe originale de Thomson au lac Canoe ferait taire les rumeurs persistantes dans le nord selon lesquelles il y est toujours. Sa famille regrette maintenant qu’il ait �t� d�plac� � Leith et serait contente d’apprendre qu’il n’a pas �t� d�rang�. Toute action prouvant que Thomson est mort des suites d’un acte criminel �carterait la honte associ�e au suicide qui salit son nom.

Ceux qui connaissent Thomson ne peuvent pas croire que c’�tait un suicide. Il �tait sensible et solitaire, se d�vouant avec passion � la nature et s’il avait �t� tent� de s’enlever la vie, il serait parti en voyage dans la nature et on n’aurait plus jamais entendu parler de lui. Il aurait �t� totalement contraire � la personnalit� de Thomson de se suicider, m�me dans un moment de d�pression, � dix minutes de son propre campement.

Source: Archives of Ontario, RG 4-32 'Attorney General Central Registry Criminal and Civil Files', File #2225, Blodwen Davies, "Demande d’exhumation de la d�pouille d’un d�nomm� Thos. Thomson noy� dans le lac Canoe en 1917," 27 juillet 1931

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