Télégramme no 100 (de Norman)
OCCUPATION 46-48 50061-40 pt 3
COPIE POUR CIRCULATION
À VOIR : M. Reid, M. Johnson, M. Watkin, M. Riddell, M. Wallis et CLASSEUR (A. R. Menzies, section américaine.)
DE : LA MISSION DE LIAISON CANADIENNE, TOKYO, JAPON.
AU : SECRÉTAIRE D’ÉTAT AUX AFFAIRES EXTÉRIEURES, OTTAWA.
MESSAGE CODÉ – O.T.P.
ULTRA SECRET
TOKYO, 22 mars 1948.
No 100
N 100. 22 mars. Ultra secret. Pour Pearson de Norman, débute :
Mes télégrammes no 76 du 6 mars et no 85 du 12 mars.
1. Pendant son retour des Philippines en direction des États-Unis, M. Kennan a bifurqué de façon inattendue vers le Japon. Après quelques tentatives, j’ai réussi à lui parler hier peu avant son départ. Il était amical et parlait librement. […] [Sa] façon de penser [est] expliquée plus bas, […]
2. En Europe, l’échéancier soviétique est beaucoup plus radical et serré qu’en Asie, car les Russes pensent qu’ils doivent terminer la consolidation avant que les États-Unis et l’Europe de l’Ouest puissent mettre en place des contre-mesures. En Asie, les Russes estiment qu’ils peuvent attendre et leur politique est de nature assez passive. Un facteur important pour les États-Unis est qu’il existe en Europe un potentiel industriel plus grand qu’aux États-Unis et qu’il ne doit pas tomber entre des mains hostiles aux Américains. En Asie, le seul potentiel industriel d'importance est au Japon, ce qui le place définitivement à l'intérieur de la sphère américaine. En ce qui concerne la Chine, même si les choses vont mal pour les nationalistes, les Russes ne semblent pas y intervenir directement et les États-Unis doivent être prudents pour ne pas susciter d’hostilité.
[…]
5. La période de l’après-guerre est définitivement terminée. Cette période a été marquée par des mouvements manifestes vers la gauche, de l’agitation sociale et de la confusion. (C’est pendant cette période que les Soviétiques ont pu faire des gains en Europe. Ils sont allés trop loin et doivent maintenant payer le prix pour leurs comportements en y perdant leur administration. Au Japon, comme dans d’autres parties du monde, le temps est arrivé de reconsidérer dans son ensemble les solutions d'après-guerre compte tenu du fait que la période de changements et de réformes qui suit toute grande guerre arrive maintenant à sa fin. Ce qui était souhaitable dans la politique d’occupation du Japon à la fin de la guerre pourrait ne pas l’être indéfiniment. Compte tenu de la ponction continue sur les États-Unis pour garder le Japon, il est très important que le Japon devienne autonome dès que possible. Les préoccupations américaines au Japon sont dorénavant portées principalement vers la reprise économique et la stabilité sociale. Ce qui ne veut pas dire que les politiques américaines prendront automatiquement le contrôle des politiques japonaises et il serait bon d’en jauger la situation maintenant plutôt que de continuer à l’aveuglette en faisant des erreurs. Le consentement accordé au problème des réparations de guerre a été une grave bévue et les États-Unis en sont responsables. Il est tout à fait ridicule de croire que les pays demandeurs feront une utilisation adéquate de l’équipement industriel réservé pour les réparations. La frustration de l’industrie existe et le démantèlement d’usines japonaises pour les rebâtir ailleurs en Asie est non seulement peu rentable mais aussi difficilement applicable. Il est temps de se sortir de cet enchevêtrement et de repartir à zéro.
6. Un traité de paix aurait été une erreur l’année dernière, car le Japon n’est pas prêt politiquement ou militairement à faire face sans aide à la pression soviétique. Avant de signer un traité de paix ou avant de mettre fin à l’occupation, on doit d’abord déterminer comment rétablir la force du Japon pour qu’il puisse résister à pareille pression.
7. […] M. Kennan a exprimé le désir d’entretenir des rapports plus étroits et informels avec nous pour discuter des questions de l'Extrême-Orient. Il dit qu'il serait très heureux de se rendre à Ottawa avec M. Butterworth du département d’État afin de discuter ouvertement des problèmes économiques et politiques de l’Extrême-Orient avec nos représentants officiels. Il désirait mettre cartes sur table et dire franchement à notre gouvernement que certains aspects de la politique américaine étaient erronés et tâcher d’obtenir une oreille sympathique au changement radical de la politique américaine au Japon selon ce qui a été indiqué plus haut. Je lui ai assuré que vous seriez heureux de le recevoir et d’avoir des échanges informels. Il a dit que même s’il ne pouvait venir en personne, il espérait que M. Butterworth accepterait de participer à des échanges informels dans les prochains mois.
NORMAN.