LE RAPPORT DE LA COMMISSION ROYALE D'ENQUÊTE
Colonel Nicolai Zabotin , Inconnu, 1944, Library and Archives Canada, PA-116421, Zabotin était à la tête du réseau d'espionnage du GRU au Canada
POUR ENQUÊTER SUR LES FAITS INTÉRESSANT ET LES CIRCONSTANCES ENTOURANT LA COMMUNICATION, PAR DES FONCTIONNAIRES PUBLICS ET AUTRES PERSONNES OCCUPANT DES POSTES DE CONFIANCE, DE RENSEIGNEMENTS SECRETS ET CONFIDENTIELS AUX AGENTS D’UNE PUISSANCE ÉTRANGÈRE.
L’honorable juge Robert Taschereau
L’honorable juge R. L. Kellock
Commissaires
[p.11]
SECTION II
APERÇU GÉNÉRAL
1. INTRODUCTION
Igor Gouzenko
C’est Igor Gouzenko qui a dévoilé l’existence au Canada d’une vaste conspiration visant à obtenir la divulgation de secrets d’État.
Gouzenko, qui avait été envoyé au Canada en juin 1943, avec le titre officiel d’« employé civil » de l’ambassade soviétique à Ottawa, était officier du chiffre pour l’attaché militaire, le colonel [Nikolai] Zabotin.
Dans la soirée du 5 septembre 1945, Gouzenko a quitté l’ambassade en emportant un certain nombre de documents de son bureau, entre autres des télégrammes envoyés à Moscou, d’autres reçus de Moscou, qu’il avait chiffrés et déchiffrés, ainsi que des documents rédigés soit par des Russes, membres de l’ambassade, soit par d’autres personnes domiciliées au Canada. Après avoir connu les aventures énumérées dans la section X du présent rapport, Gouzenko a raconté éventuellement son histoire à la Gendarmerie royale du Canada qui en fit rapport au gouvernement canadien.
Il est hors de doute qu’il nous a donné une foule de renseignements et nous a révélé l’existence, au Canada et dans d’autres pays, d’une conspiration bien organisée. Il nous a fourni, non seulement les noms réels et fictifs des organisateurs, ainsi que ceux des Canadiens qui ont été pris « dans le réseau » (pour employer l’expression qu’on trouve dans les documents) et qui ont agi ici comme agents, mais il nous a aussi exposé comment fonctionnait cet organisme et quels étaient ses buts et ses méthodes au pays et à l’étranger.
Il est impossible de croire que ces tentatives, très souvent fructueuses, faites dans le but d’obtenir ici des renseignements secrets et confidentiels, ont été fortuites ou isolées. Il ne s’agit pas simplement d’actes d’employés russes poussés par un zèle intempestif à renseigner leur propre gouvernement. L’organisme sur pied au Canada est le résultat de longs préparatifs de la part d’hommes formés et expérimentés dans ce genre de travail, qui sont venus ici avec la détermination de se livrer à l’espionnage et qui ont recouru à toutes les ressources mises à leur portée, avec ou sans corruption, pour remplir les tâches qui leur avaient été assignées.
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Lorsque Gouzenko est venu au Canada au mois de juin 1943, il est arrivé en compagnie du colonel Zabotin qui détenait le titre officiel d’« attaché militaire ». Avec eux se trouvait le major [Alexander] Romanov, le secrétaire de Zabotin. Zabotin n’est pas venu ici pour inaugurer un réseau d’espionnage mais pour continuer et amplifier le travail de ses prédécesseurs.
[...]
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Ce service, dont Gouzenko était le préposé au chiffre, est le seul sur lequel nous avons eu à enquêter à fond parce que c’était la seule section de l’ambassade où Gouzenko avec accès aux documents.
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SECTION II. 2
SYSTÈMES D’ESPIONNAGE PARALLÈLES
Il semble, toutefois, qu’il existait au Canada plusieurs systèmes parallèles ou réseaux d’espionnage, sous la direction des membres de l’ambassade russe mais indépendants et distincts de l’organisme de Zabontin (service des renseignements de l’armée rouge), et il se peut que ces systèmes parallèles aient eu et aient encore leurs propres agents secrets à l’oeuvre au Canada.
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Gouzenko nous a dit: —
« ...Il (le gouvernement soviétique) essayait d’établir une cinquième colonne au Canada. Ce qui a transpiré n’est qu’un pâle reflet de la réalité. Vous avez pu découvrir quinze hommes, mais le danger d’une telle situation subsiste quand même au Canada parce qu’il y a d’autres sociétés et d’autres personnes qui travaillent sous la direction de chaque ambassade, de chaque consul, partout où il y a u consulat. Ce sont autant de petits cercles. Il existe des systèmes parallèles d’espions ou d’agents éventuels.
[...]
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« Puis, d’après des conversations entre [Major Vsevolod] Sokolov et Zabotin, je crois qu’ils soupçonnaient l’existence d’un système de renseignements militaire parallèle à celui de Zabotin. La même chose existait aux États-Unis, d’après un télégramme que j’ai vu. [...] »
Ce système était apparemment dirigé par le quartier général du service des renseignements de l’armée rouge à Moscou, mais non par l’entremise du colonel Zabotin. Gouzenko a déclaré que ce n’est que fortuitement que Zabontin a appris l’existence de ce système au Canada, bien que lui et ses collègues immédiats eussent été au courant de l’existence de quelques autres réseaux d’espionnage parallèles fonctionnant au Canada, y compris celui de la N.K.V.D. dirigé par [Vitali] Pavlov (deuxième secrétaire à l’ambassade soviétique à Ottawa), et dont il est question ci-dessous.
[...]
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Il y avait déjà eu bien des cas de friction entre les systèmes parallèles et particulièrement entre les deux réseaux d’espionnage de Pavlov et du colonel Zabotin. Gouzenko affirme que ces cas de désaccord, nés souvent d’efforts pour « former » le même agent [...]
Par suite de l’irritation manifestée par Zabotin à l’égard de Pavlov, comme en font preuve les télégrammes qu’il avait envoyés sur l’incident rapporté ci-dessus, tous deux ont reçu des instructions simultanées du service des renseignements militaires et de la N.K.V.D. à Moscou leur ordonnant de régler toutes leurs disputes et leur disant qu’il ne devait plus y avoir de querelles entre les divers systèmes d’espionnage fonctionnant au Canada.
Le système de la N.K.V.D.
On ne peut guère douter que la N.K.V.D. [le ministère soviétique des affaires extérieures], qui s’appelait auparavant le Guépéou [O.G.P.U.], et qui est la police secrète de l’Union soviétique, possède un puissant organisme au Canada. Les documents échangés entre Zabotin et le Directeur du service des renseignements militaires à Moscou et déposés entre nos mains, désignent la N.K.V.D. sous on nom fictif, le Voisin.
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Quand Moscou a demandé Zabotin s’il connaissait un certain « Norman » celui-ci a répondu que non. Motinov et Zabotin ont cru ensuite qu’ils l’avaient identifié; ils se sont enquis auprès de Pavlov touchant l’homme qu’ils avaient en vue et Pavlov a répondu: « Ne touchez pas à Norman; nous travaillons avec lui ». Zabotin a adressé alors à Moscow le télégramme suivant: « Le Norman dont vous parlez est, croyons-nous, Norman Freed et ‘les Voisins’ s’occupent de lui ». Moscou n’a pas répondu à ce télégramme.
Bien que le témoignage de Gouzenko et les documents établissent l’existence de l’organisme N.K.V.D. au Canada, nous n’avons pu nous assurer de l’étendue de son infiltration et de l’identité de ses agents canadiens ou autres. Toutefois, nous possédons suffisamment de preuves pour démontrer que le système est parallèle au réseau d’espionnage militaire mais qu’il en est entièrement indépendant et absolument distinct. Gouzenko a déclaré dans son témoignage que le réseau N.K.V.D. était plus étendu que celui du colonel Zabotin, qu’il fonctionnait depuis beaucoup plus longtemps au Canada, qu’il comptait plusieurs agents parmi les membres du personnel de l’ambassade soviétique à Ottawa et qu’il était dirigé par Pavlov.
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[Note de la traduction : à l'exception de quelques erreurs typographiques que nous avons corrigées, ce texte reproduit la traduction extraite du Compte rendu officiel des débats de la Chambre des Communes ]