Norman présente ses arguments contre son affectation à Moscou

MISSION DE LIAISON CANADIENNE

TOKYO, 6 février 1950

PERSONNEL ET CONFIDENTIEL

M. Escott Reid,
Sous-secrétaire d’État adjoint
  aux Affaires extérieures,
O T T A W A, Canada.

Cher Escott,

Comme prévu, mon séjour a été si court et j’ai parlé à tant d’amis et de collègues que je n’ai pas eu l’occasion d’aborder un certain nombre de sujets que j’aurais particulièrement aimé discuter avec toi. Cependant, je pense que notre court échange d’idées aura été avantageux pour tous les deux et j’ai confiance que l’Extrême-Orient trouvera la place qui lui revient dans l’esprit des collègues de l’édifice de l’Est.

Je t’écris en corollaire à notre brève conversation sur le sujet de mon affectation future. Ce genre de sujet requiert la prudence et une réflexion plus approfondie. Après mûre réflexion, j'ai quelque peu changé d’idée sur un aspect des propositions que tu m’as soumises. Lorsque tu discuteras de cette affaire avec Arnold Heeney et les autres personnes concernées, je te serais très reconnaissant si tu pouvais tenir compte de mes réflexions.

Si je dois rester en poste pour une autre année (une question que, naturellement, je ne pense pas pouvoir discuter davantage), je pense tout comme toi que je devrais assez rapidement rentrer au pays pour un congé. Cependant, s’il est certain que je dois être affecté ailleurs, je voudrais avoir quelques mois pour terminer différents projets, puis rentrer à Ottawa pour un congé avant d’être affecté à un autre poste ou pour m’installer à Ottawa, si cela était le choix du ministère.

Quant à l’affectation à Moscou dont tu as parlé, j’y ai beaucoup pensé et mon intime conviction (qui n’est pas seulement basée sur mes sentiments personnels quant aux difficultés bien connues de vivre à Moscou) m’oblige à pencher fortement contre cette affectation à moins, bien sûr, que le ministère ait des raisons prépondérantes pour m’y envoyer. Je suis certain, cependant, qu’un autre candidat pourrait remplacer Watkins et je préférerais nettement cette solution pour les raisons suivantes.

Bien que cette affectation à Moscou représente sans aucun doute une occasion de parfaire mon éducation diplomatique, je ne pense pas qu’elle soit d’une très grande utilité à ce stade-ci de ma carrière. De plus, même si je comprends l’aspect sur lequel tu attires mon attention, c’est-à-dire les intérêts de l'Extrême-Orient à Moscou, je me demande si, avec une si petite équipe en poste, j'aurais en réalité assez de temps pour faire une étude exhaustive des politiques soviétiques en Extrême-Orient et des sujets afférents, particulièrement en raison du fait que je ne peux pas lire la langue. Je ne connais pas bien le service de traduction en poste là-bas, mais je serais assez surpris qu’il puisse fournir le type de traduction spécialisée requis pour une étude systématique des politiques soviétiques sur l’Extrême-Orient. Je suis en effet très sceptique, considérant les incessantes procédures de durcissement qui ont cours à Moscou, en particulier envers les étrangers, quant à la possibilité de trouver là des renseignements importants sur Mao Tse-tung et ses collègues simplement en lisant de plus près les différents journaux du parti qui, dans la plupart des cas, sont tôt ou tard mis à la disposition de la presse mondiale ou de notre propre ministère par le biais des filières normales.

D'un autre côté, j’ai pensé qu'il serait approprié que je séjourne quelque temps en Europe durant ma carrière, mais pour ce qui est de Moscou, je ne crois pas que ce soit nécessairement la bonne solution. Si on pense à Ottawa qu'il est temps que je sois affecté à Ottawa, je suis, bien sûr, prêt à rentrer n’importe quand. En fait, en tenant compte des idées que tu as exprimées, je pense, tout compte fait, que si je dois être réaffecté cette année, je préférerais retourner dans l'édifice de l'Est [édifices parlementaires, Ottawa], pourvu que mon travail soit en lien avec l'Extrême-Orient. Comme tu sais, bien que je tienne beaucoup à poursuivre mon travail sur l’Extrême-Orient, je ne veux pas non plus être confiné au dossier japonais; je voudrais aussi avoir l’occasion d'étendre et de mettre à jour mes connaissances sur les développements en Chine qui, je le sens, deviendront extrêmement complexes et importants. Je voudrais donc préciser que mon intérêt pour l’Extrême-Orient n’est absolument pas limité au Japon; j’ai toujours eu et j’ai encore un grand intérêt pour la Chine, même si ma formation n'est pas aussi idoine sur la Chine qu'elle ne l'est sur le Japon, c’est-à-dire que je ne connais pas du tout la langue parlée et mes connaissances du chinois moderne écrit sont vraiment très rouillées. Je ne dis pas que je devrais y être envoyé en poste maintenant. En fait, j’ai la profonde conviction que le diplomate qui sera en poste en Chine (si nous la reconnaissons et quand cela arrivera) devrait avoir une expérience récente et profonde de la Chine. Cependant, que ce soit à partir d’Ottawa ou en Chine, mon souhait serait d'avoir un jour la possibilité d’approfondir mes connaissances et mon expérience des affaires chinoises.

Je te serais vraiment très reconnaissant si tu pouvais tenir compte de ces considérations lorsque la question de mon affectation sera discutée. Je n’écrirai pas à Arnold Heeney à ce sujet, car tu seras en meilleure position pour discuter de cette affaire étant donné que nous nous sommes déjà rencontrés, toi et moi. Cependant, puisque le ministre m’en a aussi glissé un mot, je pense qu’il serait approprié que je lui écrive une courte note dans le même sens.

Meilleures salutations,
[signé Herbert]
E. H. Norman.

Source: Library and Archives Canada, RG 32 Vol. 338 File Norman, Egerton Herbert, Part 2, E. Herbert Norman, Norman présente ses arguments contre son affectation à Moscou , 6 février 1950

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