Inacceptable
Globe and Mail, 24 août 1957
La note des États-Unis en réponse à la lettre de protestation officielle du Canada au sujet de l’affaire Herbert Norman est un document complètement inacceptable. En premier lieu, elle a été envoyée presque cinq mois après la protestation, un délai d’une grande impolitesse mais qui reflète assez bien l’attitude du département d’État envers ce pays.
En deuxième lieu, elle esquive complètement la question principale. Notre gouvernement a demandé la garantie que les renseignements sur la sécurité donnés à l’administration américaine par les autorités canadiennes ne seraient divulgués à « aucun comité, organisme ou organisation sur lequel le pouvoir exécutif du gouvernement américain n’exerce pas le contrôle, sans le consentement explicite du gouvernement canadien, et ce, dans chaque cas. » La réponse du département d’État se lit comme suit :
[[indent]] Les procédures qui ont été suivies par les agences de sécurité de mon gouvernement dans le passé et qui continueront d’être suivies à l’avenir... sont conformes aux garanties que vous recherchez. Les agences suivent des instructions qui stipulent que toute agence qui reçoit de l’information d’une autre agence ne peut transmettre cette information hors de son organisation sans le consentement de l’agence d’origine. (...) [[/indent]]
Cela n’est pas la garantie demandée. Cette plate assurance que tout va bien, et que tout a toujours bien été, ignore le fait le plus important de l'affaire Norman : que l’information sur l’Ambassadeur en Égypte, maintenant décédé, fournie au gouvernement américain par la Gendarmerie royale du Canada a été « divulguée » à un Sous-comité du Sénat qui s'en est servi pour s'attaquer à lui. C’est probablement une bonne déduction de présumer que l’administration Eisenhower est réticente à donner les garanties qui sont demandées par peur de se mettre le Congrès à dos.
Dans ce cas, le premier ministre Diefenbaker devrait reconsidérer toute la question des échanges de renseignements avec les États-Unis. Au printemps dernier, le gouvernement libéral a, à contrecœur, levé un peu le voile du secret et divulgué une affaire troublante. En 1940, la GRC aurait reçu un rapport de « source secondaire non identifiée » alléguant que M. Norman était un communiste. Plus tard, on a découvert que cette accusation était sans fondement. Pourtant, cette information est restée dans les dossiers policiers pendant dix ans, sans une enquête, puis elle a été envoyée à Washington en 1950, toujours sans une enquête, où cette information est devenue la base d’attaques subséquentes contre le malheureux ambassadeur.
Si cela a pu arriver à un haut fonctionnaire, cela pourrait arriver encore plus facilement à des Canadiens moins hauts placés. Dans combien d’autres affaires, la GRC a-t-elle déniché des accusations de « sources dérivées non identifiées », des accusations qui n’étaient peut-être que des ragots malicieux, et a-t-elle passé ces informations au FBI sans les vérifier, et qui ont peut-être été rendues publiques des années plus tard et ont détruit la bonne réputation d’un homme? N’importe qui au Canada pourrait devenir la victime de cette sale technique d’outre frontière.
Il y a deux choses que le Cabinet pourrait faire pour corriger la situation. D'abord, il devrait prendre la responsabilité de la GRC. La direction de la sécurité devrait recevoir des instructions précises d’enquêter rapidement et complètement toute accusation de communisme ou d’activités subversives reçue de ses informateurs. Si elles sont sans fondement, elles devraient être retirées des dossiers.
Puis, la transmission de ce matériel aux États-Unis devrait être restreinte. En ce moment, il semble que les tuyaux et les potins soient échangés régulièrement et automatiquement. On peut douter de la valeur de ces choses dans la protection du Canada contre l’espionnage et la subversion et il existe une réelle possibilité qu’une grave injustice soit commise contre des femmes et des hommes loyaux et honorables. Le Canada ne devrait « exporter » de renseignements nuisibles à ces citoyens que lorsque ces renseignements ont fait l’objet d’une enquête complète, qu’il y a une demande spécifique de la part des États-Unis, que l’intérêt public de ce pays semble le requérir et que des garanties précises contre les abus ont été reçues.