S’occuper de ses affaires
par George Bain
Globe and Mail, 12 avril 1957
Bien qu’il ait protesté vigoureusement et publiquement aux autorités américaines contre le traitement infligé à E. H. Norman – et je crois que c’était surtout une mise en scène orchestrée par le gouvernement dans le but premier d’impressionner les Canadiens avant une élection par sa vigueur et sa détermination – le gouvernement canadien a fait faux bond à son ambassadeur en Égypte, récemment décédé.
Le gouvernement canadien a entre les mains tout ce qu’il faut pour démontrer, point par point, les faits qui lui ont permis de décider en 1951 que la loyauté et l’intégrité de M. Norman ne faisaient aucun doute, et non seulement il n’a rien fait, mais il a refusé de le faire.
Il a justifié son refus par l’existence d’une politique bien établie de non-divulgation des renseignements reliés aux enquêtes de sécurité. Mais cette affaire est tellement différente de toute autre – cet homme est mort, apparemment poussé au suicide par l’apparente impossibilité d’échapper aux allégations portées par une nation étrangère – qu’il y a des raisons majeures qui justifient de ne pas appliquer les politiques habituelles dans ce cas-ci.
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Cela fait une semaine que j’essaie d’obtenir du ministère des Affaires extérieures des réponses aux allégations explicites qui ont été portées contre M. Norman par les enquêteurs américains. Cela n’a rien donné, à l’exception des raisons, toutes plus ou moins convaincantes, expliquant l’impossibilité d’obtenir de réponses. Je ne pense pas que la confiance accordée à M. Norman en 1951 était non fondée. À mon avis, c’est une combinaison de bureaucratie, de stupidité et de lâcheté qui a empêché le gouvernement d’agir et de donner les réponses qui auraient dissipé les doutes de tous les sceptiques qui prédominent malheureusement en ce moment.
Je comprends que le ministère des Affaires extérieures du Canada pourrait vouloir éviter une confrontation internationale avec un sous-comité américain, somme toute sans grande importance, et qui ne jouit pas d'une réputation particulièrement enviable. J’ai donc demandé à ce que l’information qui a permis de blanchir M. Norman en 1951 soit mise à ma disposition, mais sans faire référence au ministère. Autrement dit, je prendrai personnellement la responsabilité des faits présentés. J’ai pu ainsi percer le mur de l’interdiction.
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Le Sous-comité a récemment mentionné le fait – en présumant que ce soit un fait – que M. Norman avait été secrétaire des American Friends of the Chinese People [Les Amis américains du peuple chinois] et secrétaire général du membre affilié, les Amis canadiens du peuple chinois. Le Sous-comité a affirmé qu’il s’agissait d’organismes affiliés au front communiste. Ces noms ne me disent rien – et ne disent probablement rien à la majorité des Canadiens – mais je sais que le peuple chinois était notre allié pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’il n’y avait rien de mal à être un ami du peuple chinois au début des années 40. Les autorités canadiennes des renseignements sur la sécurité doivent avoir étudié les faits qui ont rapport à ces organisations ainsi que l'adhésion de M. Norman à ces organisations et il n’y a rien qui justifie que ces faits ne doivent pas être publiés.
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Considérez le type de preuve présumée sur laquelle s’est basé le Sous-comité pour prouver l’affiliation communiste de M. Norman. En 1937, il était lié d’une façon ténue à un groupe de Harvard qui faisait une étude sur les capitalistes américains d’un point de vue marxiste – on pourrait penser que cette étude devait être très intéressante. Un témoin à son mariage en 1935 avait été identifié comme un communiste. « … Son gouvernement a découvert certains liens communistes, en particulier avec Israel Halperin, un citoyen canadien de parents russes, qui a été une des personnes impliquées dans une opération de renseignements de l’armée au Canada… »
Cette citation provient d’une transcription de la preuve du comité et fait partie du témoignage qui peut être vérifié sans l’aide non disponible du ministère des Affaires extérieures. Il est vrai qu’Israel Halperin était un de ceux impliqués dans les procès d’espionnage au Canada. Il est également vrai qu’il avait été acquitté.
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La protestation du gouvernement canadien au gouvernement américain hier, qui a fait la une de la plupart des journaux au Canada, était une imposture à 90 pour cent. Comme le ministre des Affaires extérieures Pearson l'a lui-même concédé, le type de renseignements que le Canada a menacé de soustraire aux Américains n’était pas le type de renseignements que le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne avait utilisé contre M. Norman de toute façon. La note d’hier et le petit discours vigoureux de M. Pearson qui l’accompagnait étaient entièrement destinés à un auditoire canadien. Le but était de faire un spectacle, non pas en pensant qu’un résultat concret pourrait en découler, mais bien pour faire penser aux Canadiens que leur gouvernement prenait des mesures vigoureuses pour protéger leurs intérêts.
Le fait qu’il ne puisse rien faire d’efficace pour qu’une affaire Norman ne se répète pas aux États-Unis ne rend pas cette imposture plus acceptable, bien au contraire.
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Ce qu’il aurait pu faire, et la simple justice demandait de le faire au nom du serviteur calomnié, était de révéler publiquement des faits répondant ainsi aux questions qui avaient été soulevées par le Sous-comité américain.
Mais défendre directement quelqu’un qui a été accusé d’être un communiste pourrait ne pas donner de points à un parti politique dans certaines régions du Canada – et là je pense au Québec – et on pourrait présumer que c’est la raison pour laquelle le gouvernement a choisi de divaguer sur les méfaits d’un quelconque comité américain plutôt que de blanchir le nom d’un individu. Ce faisant, il s'est rendu coupable de la pire sorte de lâcheté.