Équipe de démolition
À Caracas, Beyrouth et Alger, des foules frénétiques ont cherché à endommager les relations avec les États-Unis; à Washington, c’est le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne des États-Unis qui est le spécialiste de la démolition. Le nouveau rapport qui a déterré l'affaire de feu E. Herbert Norman, l’ambassadeur canadien en Égypte qui s’est suicidé l’an passé après avoir été cloué au pilori par le Sous-comité, est tout aussi inutile que dénué de délicatesse. Il ne peut qu’endommager plus profondément les relations déjà perturbées entre ce pays et son précieux voisin du nord; il encourage de nouvelles critiques canadiennes sur l'ingérence américaine.
Supposons que tout ce que le Sous-comité a dit au sujet des affiliations communistes de M. Norman pendant ses études dans ce pays jusqu’en 1942 soit vrai. Supposons aussi que le Sous-comité n’ait pas violé intentionnellement une entente avec le Canada en divulguant lors de ses séances le nom du secrétaire en exercice du Cabinet canadien. Quel est le but atteint en répétant des accusations qui sont connues depuis longtemps du gouvernement canadien? L’ambassadeur Norman a été innocenté des accusations de déloyauté à deux occasions à la suite d’enquêtes menées par la Gendarmerie royale du Canada. Ce que le Sous-comité semble dire, malgré son démenti d’ingérence dans les affaires du Canada, est que le Canada n’a pas la compétence requise pour traiter de ses propres questions de sécurité par le biais des canaux réguliers.
L’intention du Sous-comité est limpide. Il s’intéresse principalement à l’affaire Norman pour pouvoir l'utiliser comme un bâton avec lequel battre les Américains dans sa bataille incessante pour trouver « qui a perdu la Chine? ». Le Sous-comité n’est pas content avec une explication simple, évidente et véridique voulant que ce soit les Chinois qui l’ont perdue. Au lieu, il trouve une
conspiration qui, par le biais de l’Institut des relations du Pacifique, a réussi à contrôler et pervertir la pensée américaine au sujet de la Chine et ainsi préparer le chemin pour la conquête communiste d’une grande nation.
Les Américains qui ont connu Norman sont forcément suspects, car le Sous-comité, avec un certain maccarthysme, observe que
La diffusion de rapports erronés et de rapports officiels malicieux par les agents américains du service extérieur a grandement contribué à créer un état de confusion mentale qui a été très bénéfique à la cause communiste et nuisible à nos propres politiques.
En d’autres mots, selon les critères du Sous-comité, les agents du service extérieur devraient avoir le don de clairvoyance pour prédire ce qui arrivera dans une décennie et pour anticiper la pensée populaire, que ce soit en accord avec les faits ou non, sinon ils devraient s'abstenir de rédiger tout rapport. Mais tout cela est hors propos. Dans le but de poursuivre sa vengeance, le Sous-comité a gratuitement injecté un nouvel irritant dans les relations canado-américaines. Il ne faut donc pas se surprendre que le ministre canadien des Affaires extérieures parle de procédures « intolérables » et de confiance « mal placée ».
Ce qui est plus choquant encore c’est le commentaire onctueux du Sous-comité sur la « sensiblerie » à propos des accusations dans l’affaire Norman l’an dernier
… a fait surface dans plusieurs cas à cause de la haine envers le Sous-comité sur la sécurité interne et ce qu’il représente; la haine de tous les comités d’enquête dont la cible est le communisme; la haine, en réalité, de l’anticommunisme.
Il y a, bien sûr, une autre explication qui ne viendrait pas à l’esprit du Sous-comité : qu’il y a des personnes dont l'anticommunisme et le patriotisme sont aussi fermement établis que ceux des membres du Sous-comité et qui croient que la façon de combattre le communisme réside dans le présent plutôt que dans le passé, qui rejettent la recherche de boucs émissaires et la notion que l’erreur équivaut à la trahison, qui condamnent les méthodes qui sèment la division parmi les Américains, qui les brouillent avec leurs alliés et qui encouragent le même type d’agitation que celle défendue par les communistes.