Rapport de la GRC sur l’agitation bolchevique parmi les Doukhobors
SECRET.
Ottawa réf. no 24 D 376 J 7
S.S.D. réf. no 212- 316
Yorkton, Sask., 16 jan. 1925.
RAPPORT DE CRIME
Sujet : — Explosion sur le train du C. P., Farron, C.-B.
Agitation bolchevique parmi les Doukhobors.
En référence à ce qui est mentionné plus haut, je dois rapporter que je suis allé à Canora et à Kamsack entre le 12 et le 15 de ce mois et que j’ai plongé dans cette affaire le plus minutieusement possible. [...]
Je crois comprendre qu’une grosse compagnie américaine de matériel agricole était prête à financer, tel que décrit ci-après, le voyage de ces gens en Russie parce que la Russie n’en voulait pas sans équipement agricole; la compagnie agricole s’occuperait de la vente de leurs terres (celles des Doukhobors) ici, leur procurerait de la machinerie agricole et les enverrait en Russie; à leur arrivée, le gouv. soviétique leur attribuerait des terres, des maisons, etc. et prendrait une hypothèque mobilière sur l’équipement agricole, etc.; en retour, les Doukhobors paieraient leurs loyers, etc., en produits provenant de leurs terres; cette hypothèque mobilière aurait fait peur aux Doukhobors et le projet ne s’est pas concrétisé.
Victor Kaft travaillait activement à la réalisation de ces deux projets; il est sans doute un agent du gouv. soviétique, de nationalité géorgienne; il est arrivé à Kamsack au cours de 1918, il est éduqué et a beaucoup voyagé et il semble être bien pourvu financièrement même s’il ne vit pas de façon extravagante; il s’habille à la russe, ce qui n’est qu’une façade afin de s’attirer les sympathies des Doukhobors. Je connais cet homme personnellement depuis 1920, l’ayant utilisé de temps en temps comme interprète à la cour et j’ai cultivé son amitié délibérément à chacune de mes visites à Kamsack qui étaient assez fréquentes il y a environ deux ans pour mon travail en lien avec le revenu intérieur; je pense qu’il a un dossier personnel avec ce corps policier et, bien que je n’aie pas personnellement enquêté sur les activités de cet homme, j’ai toujours essayé de lui soutirer de façon informelle des renseignements sur ses activités, et ce, pour pouvoir m’en servir un jour, le cas échéant.
Lorsque je suis arrivé à Kamsack le 13 de ce mois, je me suis arrangé pour le rencontrer. Kaft a proposé une partie de bridge avec deux autres personnes, après quoi j’ai fait la conversation avec lui et, en parlant de choses et d’autres, j’ai amené le sujet sur les Doukhobors, me laissant aller à une discussion philosophique avec lui sur l’avenir de ce peuple; il m’a dit, entre autres choses, que le gouv. soviétique à Moscou ne savait pas où se trouvait Peter Verigin fils, qui a récemment été élu chef des Doukhobors au Canada et des arrangements pour son arrivée au Canada sont en cours de la part des autorités russes à la suite de demandes à cet égard par la communauté doukhobor au Canada; il pense qu’après son arrivée ici, s’il aime les conditions de vie de ce pays, Peter Verigin tentera d’y amener le reste de ses partisans en Russie, estimé à environ deux milles; mais il est fort possible, bien sûr, que le gouv. soviétique lui refuse de rentrer au pays car le style de vie communautaire pratiqué par les Doukhobors n’est pas tout à fait en accord avec le communisme pratiqué par le gouv. russe, le côté religieux de la vie des Doukhobors étant, dans une certaine mesure, source de conflit. Selon les renseignements que j’ai eus de Kaft, les Doukhobors sont, en général, très intéressés par la position que le ministère de l’Immigration pourrait prendre quant à l’entrée dans ce pays de Peter Verigin; il dit que, lorsque les autorités moscovites ont finalement localisé Verigin, il était en prison où il avait été mis par une quelconque autorité locale parce qu’il se disait un saint; les autorités soviétiques, démontrant un type de cynisme reconnu pour sa brutalité, ont dit que si Verigin était un saint, alors son emprisonnement ne le troublerait pas beaucoup car il pourrait utiliser les pouvoirs surnaturels que lui confèrent son état de sainteté pour ne plus sentir aucun désagrément qui lui serait causé. [...]
En ce qui concerne l’hypothèse de P.J. Verigin selon laquelle Peter Verigin serait mort à la suite d’activités d’un quelconque agent du gouv. soviétique, je ne peux voir aucun motif pour une telle action et mon enquête n’en divulgue aucun.
Les autorités sont sans aucun doute au courant qu’il y a deux factions au sein de la communauté doukhobor en C.-B. qui cherchent à obtenir la suprématie depuis quelques années; cette scission a été causée par le désir des plus libéraux parmi les Doukhobors d’ouvrir des écoles et d’éduquer la communauté; cela a toujours été un sujet absolument tabou pour les Doukhobors plus conventionnels et a mené à un affrontement entre ceux que j’appellerais les fondamentalistes et les modernistes parmi les Doukhobors; ceci a eu pour conséquences, l’an dernier, je crois, l’incendie de plusieurs écoles sur la propriété de la communauté en C.-B.
Il est bien connu que les Doukhobors recrutent leurs membres parmi les paysans russes les plus primitifs, donc des personnes qui manquent de maîtrise de soi; je pense qu’il serait fort possible qu’un membre de la faction opposée à Peter Verigin, incité par une de ces impulsions que ces gens ne peuvent retenir, ait été responsable du désastre de Farron.
[signé]J. W. Kampston, sergent,
(J. W. Kompston) Rég. no 3187.
Responsable du détachement de Yorkton